15.2.12

Raphaël BOCCANFUSO, 17 février 2012

Retrouvez l'accrochage de
Savoir disposer ses couleurs [*], 1997, collage
[*] La série complète est ici.


Land art, 2006, photographie argentique
Le travail de Raphaël Boccanfuso ne peut se suffire d’une simple critique formaliste esthétique. Il la met en échec. Rien de nouveau au regard de l’histoire d’art qui comporte déjà une longue lignée de projets de ce type, écrite dans les manuels et autres essais.

Mais contrairement à d’autres pratiques qui ont émergé au moment où le monde capitaliste fonctionnait autour de la production, celui de Raphaël Boccanfuso s’ancre dans ce que d’aucuns tel, Fredric Jameson nomme le capitalisme tardif à l’âge du post-modernisme où règne la communication et le capitalisme de service donnant à tout ce qu’il touche une valeur de produit, l’art devenant un produit de service comme un autre. C’est sur ce terrain et ses hors-champs qu’oeuvre Boccanfuso. Il se saisit des codes et du vocabulaire dans lequel nous sommes immergés afin de les mettre en abyme.

Il fouille l’espace public, fantasme par excellence de notre temps, où les images de monuments publics sont associées à celle d’une image de marque, comme un logo, un pavillon témoin et son image, à moindre échelle, qui représente et permet de vendre le produit, la ville, le programme d’urbanisme, etc. Boccanfuso nous les présente floutées - leurs silhouettes restant toutefois reconnaissables. La concurrence est forte entre tous ces produits, villes et autres, qui doivent attirer les investissements, les capitaux et les touristes et qui jouent sur la construction de cette fabrication significative.

Land art, 2005, photographie argentique (*)
La perméabilité est-elle possible ?

L’espace « public » est complètement blindé, fermé, sclérosé. L’artiste propose une porte de sortie, tout comme lorsqu’il est invité dans le centre d’art du Domaine du Dourven, dont la baie vitrée donne sur le littoral [voir vidéo ci-dessous]. Il en fait exploser le verre à coups de caillasses afin que l’on puisse enfin sentir l’air et écouter le bruit du ressac qu’occultait cette fausse transparence où le paysage demeurait, inodore et sans saveur, tel celui que peut suggérer une carte postale. Ces deux projets montrent le voile que cherche à lever l’artiste tout en utilisant des modes inverses qui finissent paradoxalement par se rejoindre. Il nous distribue des cartes postales des monuments, rendus libres par le floutage, libres de droit, et rend à nos sens un paysage de carte postale.

Boccanfuso chercherait-il à transformer les frontières en éléments poreux ou à nous redistribuer des droits que nous avons perdus sans nous en rendre compte par la force de l’habitude, sans y prendre garde. Par ses actions il tente de réveiller des réflexes mis en veilleuse. Il travaille l’image comme tous les artistes actuels, une image qu’il transforme à sa façon en miroir qui fonctionne en forme de vanités afin de créer un aveuglement qui puisse permettre un soupçon de suspens, le temps d’un éclair, d’une ou plusieurs respirations.

Il endosse différents rôles, il s’engage dans des actions qui prennent différentes formes sur des durées plus ou moins courtes.
Extrait de Ensemble, déconstruisons l'Avenir,
texte de Lise Guéhenneux pour l'exposition à la galerie Buy-sellf-Art Club,
Marseille, 2009

(*) "En fait c'est un renard mort, dans la forêt chez mes parents on en trouve parfois dans les arbres, véridique, curieux, non ??" - R. B.

8.2.12

Damien CABANES, 10 février 2012

> Le Hublot avait consacré un accrochage "Coll. part." à Damien CABANES le 18 février 2011.

>> Il a été l'un des 4 artistes nommés pour le Prix Marcel Duchamp 2011. Le CREDAC avait exposé le futur lauréat de ce prix, Mircea Cantor, l'an dernier.

>>> A noter également, la mise en ligne dans La Bibliothèque du Hublot d'un album consacré à l'atelier de sculpture de Damien CABANES.

>>>> Retrouvez la céramique exposée, "Judith debout orange et verte", 2008, 69 x 24 x 32 cm, dans Hublots du soir.




































On ne sait pas trop d’où ça vient, les formes, on les a en soi. C’est en bricolant qu’on les trouve. Mais je sais que ça correspond à quelque chose qui est en moi. Je suis le premier spectateur de mon travail, je n’ai pas l’idée de vouloir illustrer un concept, je travaille, et après je vois ce qui apparaît. Je fais quand même des petits dessins ou des maquettes préparatoires, puis j’en construis une, qui me donne une idée, puis une autre, ça vient comme ça. Après, expliquer ce que j’ai voulu, ça je ne sais pas.





  
A propos de cette exposition en 2009 au Château d'Alex, "Libération" écrivait :





























Merci à Damien Cabanes,
Éric Dupont, Julie Pierzchala et la Galerie Éric Dupont

5.2.12

Virginie ROCHETTI, 3 février 2012


Retour sur l'accrochage dans Hublots du soir
Homme-oiseau, fusain et acrylique sur papier , 220 x 145 cm

Broder est une activité répétitive et fastidieuse. Comme telle, elle détient un pouvoir hypnotique, anesthésiant, étonnamment indispensable à la vie moderne. Fascinée par l’idée des dames en leur château brodant, solitaires, les exploits de leurs amants tant attendus, peut-être influencée aussi par « Sœur Anne ne vois-tu rien venir ? Elle se piqua au fuseau d’un rouet, Guillaume guerroyait au loin... » Je rêvais souvent de ce bout de tissus rescapé des siècles. Broder est une activité répétitive et affolante. Un fantasme de total maîtrise d’un matériau fuyant et mou. Doux et délicieux. Un fantasme de sensualité au bout d’une piqûre d’aiguille.


Crève-cœur, broderie sur lin, 24 x 41 cm

Les contes, et puis aussi la fée « Lorsque vous entendrez la fée Clochette, Tournez la page... » L’histoire de la Tapisserie de Bayeux est moins romantique. Composée par un artiste et brodée par les ouvriers d’un atelier de broderie, elle n’en possède pas moins un pouvoir évocateur impressionnant.
 
Évocation instantanée du drap de lit, du trousseau de la mariée brodé de son chiffre qui est en réalité une lettre. Sa lettre au pied de laquelle allongée sur le dos, elle ... mais je m’éloigne. Broder. Je m’y adonnai, comme d’une drogue. Chaque jour écoutant la rumeur du monde à la radio transcrivant et dessinant les images vues dans les journaux, je m’adonnai à l’aiguille.

Broder est une activité répétitive et minutieuse. L’accumulation des petits points, on pourrait dire des détails, produit la forme globale qui bizarrement restitue le dynamisme et le geste du dessin. C’est une activité de contradiction. C’est une activité du choc. Choc de la technique (ancestrale) avec les moyens des technologies modernes : une brodeuse pilotée par un PC [voir plus loin]. Choc des sujets avec le sujet : la « douceur féminine » et la violence du monde. Le caché, l’intime de la maison (la haute tour du château) et le total extérieur des souffrances qui ne me concernent pas. J’aime pas mon espèce, je nous trouve sales et puants. Pas drôles. Je préfère regarder le linge tourner par le hublot de la machine à laver. Du plus grand désordre apparent surgit le motif de fond, stable, violence et destruction inexorable. À la fin, lueur d’espoir « Entrez dans la seconde vie », un univers virtuel aussi con que le vrai.
 
Solide et qui ne vacille pas.

Un vermisseau je vous dis ! se tortille en remuant les fesses. Ça va pas loin. Allons pas de mauvais esprit ! brode chérie. Et laisse bien ton cul sur sa chaise. Des fois qu’il s’échaufferait trop au spectacle du monde. Le dessin aussi, stable et rassurant. Traversée du temps de Léonard de Vinci à Picasso, et Alechinsky.  Brode, soit sage.

Broder comme aussi raconter toutes ces histoires, le monde qui irrupte et qui éructe jusque dans mon atelier avec ses corps en morceaux et ses visages recousus, autant de cicatrices à reporter sur la toile pour mieux les apprivoiser. Les corps en morceaux raccommodés, les chairs dévastées étalées aux pages des journaux, ils me hantent la nuit. Je les couds le jour. Les chairs encore, viandes à l’étalage ont pris la suite de la Tapisserie de Bagnolet. Steaks, entrecôtes et boudins, bien rangé en barquettes publicitaires que je brode à petits points comme autant de natures mortes. La violence est partout présente et le fil de la toile une sorte de rempart contre les pommes empoisonnées.


L'organe du pouvoir, broderie sur lin, 41 x 24 cm 
L'organe de l'oubli, broderie sur lin, 41 x 24 cm 

Broder encore pour rassembler, coudre ensemble tous ces morceaux de moi éparts, éclatés en divers coin de mon travail, partagés entre peinture sur la feuille du journal, installations et objets à histoires parlants la langue de mon goût des mots, et performances avec mes complices poètes (Fabienne Yvert et Jacques Rebotier notamment).
 
Se recentrer pour mieux décadrer le regard.
La langue pour coudre aussi les mots entre eux. Pas bougé ! Sage !






Pour compléter, deux albums présentant des oeuvres brodées :

(avec Fabienne Yvert - au Hublot le 16 mars prochain)

et
 

A propos de ce dernier travail, "La Tapisserie de Bagnolet", quelques mots de Virginie Rochetti (ce n'est pas elle sur la photo du lecteur...) dans une vidéo réalisée à l'occasion d'une exposition à l'Espace d'art contemporain Eugène Beaudouin d'Antony :