1.7.11

Sophie GAUCHER, 1er juillet 2011


Retour sur cette installation dans Hublots du soir. 
I - Vasque monde

« Tout cela tenait dans une vasque, rosée aux lignes incertaines, une chair rose boursouflée, à la fois haussée, débordante, maintenue et prisonnière d'une géométrie froide. Une chair de ce rose pourceau que je connais bien, et qui fait courir sur mes lèvres un sourire de jouissance quand sous mes yeux et en mon pouvoir, touché par ma froide baguette et mes philtres, un homme lentement se change en porc. Et cette vasque elle-même se changeait : de l’assiette épaisse prise dans le fer se dégageaient des jambes qui s’agitaient impuissantes dans les airs. Homme ? Femme ? Le ventre enflé qui surmontaient les jambes pouvait évoquer une fécondité féminine, une autre gestation en cours. Mais un homme gras peut présenter le même aspect. Et la vasque devenait-elle homme, femme ? Ou bien l’homme, ou la femme, se faisaient-ils vaisselle ? La métamorphose qui est un si beau spectacle et si fascinant car elle se déroule dans le temps, lorsqu’on la représente, pose à son tour la question du temps, et montre combien celui-ci n’est visible que dans l’espace sublunaire du changement des choses. Ces jambes vont-elles glisser jusqu’au sol et tirer après elles un corps ? Ou bien vont-elles s’absorber dans cette vaste assiette charnelle ? Et d’où viennent-elles ?

Des silhouettes de femmes sont posées sur ses bords et dans son creux. Nymphes, faunesses, sorcières, fées ? Des sœurs, en tout cas, oisives et méditatives, des Pythies peut-être qui regardent comme moi dans les profondeurs de la faille en céramique. Elles semblent posées là sur les flancs de ce cratère volcanique et attendre, dans une sorte de conversation démoniaque. Elles parlent, malveillantes comme les Causeuses de Camille Claudel, vont-elles bientôt danser comme celles de La Vague à la lumière de la "lune arrachée du ciel, vaincue et révoltée, que les Sorcières thessaliennes contraignent durement à danser sur l'herbe terrifiée" ? (Charles Baudelaire, Petits poèmes en prose - Le Spleen de Paris,  "Le Désir de peindre")

Elles transforment par leur présence la vasque en monde, la vaisselle en paysage. Elles en font la bouche des Enfers, dont je connais le lieu et les secrets pour y pénétrer et en revenir sain et sauf. Ce sont des gardiennes. Femmes, elles féminisent aussi ce paysage en lieu sexuel. La vie, la mort, je vous l’avais annoncé.

Cette vasque raconte une histoire de coupe, de gouffre infernal, de désir et de métamorphose avortée ou en cours. J’aurais voulu rejoindre mes consœurs dans leur sabbat métamorphique à venir, attirée par la profondeur. J’ai préféré retrouver ma puissance et ne pas céder au vertige. Un texte vaut bien quelques maléfices. À votre tour de vous risquer au bord du gouffre. »

Émilie Bouvard


II - Puissances de l'attente et du vide

« Sophie Gaucher trace et accumule des objets qu’elle quitte en les branchant les uns sur les autres. Souvent un membre ébauche avant d’être achevé le départ d’un autre. Et intimement on ressent comme une évidence cette possibilité chimérique de la pousse d’un pied au sommet du crâne, d’un siamois dans son dos…




Dans l’espace atterré, ses formes résistent doublement : d’une part elles ont résisté aux mécanismes d’accumulation qui les ont créées et agrégées – et qui peuvent sans cesse les détruire –, d’autre part, elles résistent à l’absence de cadre, au vide immense qui les entoure. Elles sont toutes à égalité devant ces puissances du vide, qu’elles s’étendent sur des murs entiers ou qu’elles soient quasiment inaperçues de la taille d’un pouce.

Son travail dit aussi ou révèle quelques unes des puissances de l’attente et du vide : ses formes sont postées sur les passages invisibles du temps ou de certaines tensions fantastiques. À ce titre, elles sont empreintes des signes de ces puissances, qu’elles convoquent ou conjurent. Il est question dans son travail de durée, d’étendue, de latence de la forme.


Il y a de l’aventure à vivre dans l’infime ou l’inaperçu. Sophie Gaucher le rappelle à la manière d’un enfant qui aurait conquis l’attention des adultes oublieux des secrets des premières années, ce monde étonnant qui peut être rappelé en un instant par un dessin, et où on se préoccupe de l’avenir des poussières ou de l’assemblage d’un détail de construction. Que ses regards se posent sur le détail insignifiant de notre quotidien, il en ressort indifféremment, et avec une apparente candeur, une orgie ou une scène de chasse, un mutant ou un bonhomme esseulé… »

Stéphane Lami-Rousseau et Jean Lamort


III - Première et dernières dates

1984 : Naissance à Poitiers.
2008 : Lauréate de la Biennale de la jeune création de Houilles - Salon du dessin contemporain avec la Galerie Artegalore, Paris.
2009 : Travail de résidence en collaboration avec la ville de Houilles - Première exposition personnelle à la Galerie Artegalore, Paris.
2010 : Prix agnès b pour la jeune création.