Almanach — Sur le motif
Je me suis assis dans cette prairie, attiré par trois espaces.
La frontalité d’une rangée d’arbres – sombres, souvent à contre-jour – délimite le haut de la prairie dans laquelle je travaille.
Mais cette surface horizontale semble animée d’une force de vie qui cherche à s’échapper de ce plan. Les herbes tendent vers la lumière, dans un enchevêtrement qui s’élève. Les insectes, les mouches, les graines de pissenlit franchissent la frontière du sol.
C’est l’air du ciel… Tout veut monter, s’élever, sortir de ce plan.
Mon regard aussi monte, guidé par ce qu’il contemple, lentement, avec douceur. Il suit les grands mouvements dans la masse sombre des feuilles, semblables à des courants dans un océan.
Il faudrait plus d’une vie pour regarder cela. Pourtant, ces mouvements dans les arbres rejoignent une profondeur, celle de l’air et du ciel, là où le regard ne s’accroche plus à rien mais avance encore.
Le regard ressent une direction, comme une trame à suivre.
Et parce que je reviens jour après jour, une autre dimension apparaît : le temps qui s’accumule.
Ce que je note, ce que je peins, ce que j’efface, devient une forme d’almanach : un relevé patient des variations, des infimes déplacements de lumière, de vent, d’insectes.
C’est un almanach proche de celui dont parlait Aldo Leopold dans Almanach d’un comté de sable : non pas un inventaire, mais une manière d’habiter le temps, d’apprendre à lire ce que le lieu écrit avant moi.
Le papier lui-même en porte la mémoire : la pluie y dépose ses constellations de taches, le gel cristallise la peinture, le soleil en tend les fibres.
Dans cet espace, les choses les plus simples — le frémissement d’une herbe, la poussière du sol, une ombre qui traverse — défilent devant moi. Elles sont proches de la terre, modestes, premières.
Et c’est avec un crayon de cire d’abeille, matière vivante et élémentaire, que je tente de les inscrire sur le papier, comme on consigne les jours qui passent.


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