16.9.13

Mai Tabakian, 20 septembre 2013








Les œuvres créées par Mai Tabakian apparaissent comme des objets hybrides. Bien que ne pouvant se définir à proprement parler comme des peintures, elles se présentent néanmoins le plus souvent en images picturales, en tableaux. Dans le même temps, la présence prégnante de la matière, du volume et de la structure, leur donne immédiatement une dimension sculpturale, voire architecturale. Objets hybrides, donc, aussi et surtout parce que le médium principal du travail de Mai Tabakian est le textile. Ici, cependant, il ne s’agit ni de broderie, ni de tapisserie, ni véritablement de détournement car le tissu est employé pour ce qu’il est : matière, couleur, texture. Le travail de Mai Tabakian pourrait s’apparenter à une sorte de marqueterie textile, le tissu étant embossé sur des pièces rondes de polystyrène extrudé.
L’artiste n’utilise pas le tissu  comme une matière à coudre, à assembler comme un vêtement, autour d’un corps, fusse-t-il fictif,  mais bien comme un medium pictural, par lequel couleurs, textures et éventuellement motifs s’apparentent à la palette du peintre. Pour elle, le tissu présente une grande richesse tant sur les plans plastique, chromatique, texturel, que dans ce rapport si particulier et sensuel au toucher, souvent ignoré dans la création plastique. Dans leurs épaisseurs, leurs formes pleines et rebondies, leurs sinuosités, les œuvres de Mai Tabakian donnent irrésistiblement envie d’en découvrir l’intime géographie sous les doigts.
Mais au-delà de cet intérêt formel, le choix de Mai Tabakian pour le tissu est sous-tendu des échos d’une histoire personnelle avec cette matière. Car si son travail renvoie d’emblée à la notion d’«ouvrage féminin», cette activité la rappelle à tout un univers lié à son enfance, entre sa grand-mère maternelle qui pratiquait la couture et l’y initia très jeune, et ses voyages au Viêt-Nam, dont elle est originaire, où elle fut fascinée, petite fille, par la profusion de tissus colorés, les vêtements chatoyants ou les soieries. On pense au rapport que peuvent avoir certains artistes comme Louise Bourgeois ou Annette Messager avec le tissu en tant que vecteur d’histoires de femme, de transmission de féminité, mais aussi de souvenirs et d’évocation de l’enfance, ramenant souvent à l’objet transitoire. Mais là où l’une ou l’autre de ces artistes se sont orientées vers une forme d’expressionnisme de l’introspection et de la mémoire, Mai Tabakian a choisi d’élaborer des compositions abstraites de formes, formes parfois organiques, parfois plus géométriques, parfois semblables à des paraboles mathématiques. Mais, le choix de ce rendu matelassé, comme un cocon ou un réceptacle protecteur, pourrait bien, tout en suggérant une manière de se protéger de trop en dire de soi, laisser émerger bien des hypothèses.
On devine alors, sous ces dehors formels et abstraits, une épaisseur existentielle, une émotion affleurant, des histoires et des réminiscences complexes qui ne se laissent pas envisager au premier regard, trop occupé à se perdre dans le labyrinthe et les contours sinueux des motifs formés par les applications de tissu.
Les œuvres de Mai Tabakian, malgré les couleurs chatoyantes, gaies ou douces, glitter ou pastels, recouvrent sans doute bien de plus inquiétantes ou douloureuses réalités, sentiments ou pensées, comme une forme de lutte contre une cruauté dont nous ne savons pas tout.

Marie Deparis-Yafil
Critique et commissaire d’exposition

le site de Mai Tabakian ici
et son hublot  ici

10.9.13

Fred Maillard, 13 septembre 2013


La peinture de Fred Maillard est toujours le fait de collisions improbables : celles d’univers si distants que toute rencontre nous semble impossible. Fred Maillard relie, fait la synthèse de ces réalités qui nous échappent. Il n’y a pas que la ville ou la campagne. Il existe aussi des lieux où coexistent la ville et la campagne, le monde du travail et le monde des loisirs, la technologie et l’archaïsme. Ces univers, habités de signes, d’hommes, d’objets s’interpénètrent les uns les autres dans des frontières que nos esprits peinent à se représenter. Il est vrai qu’ils se dégradent, perdent de leur magnificence lorsqu’ils sont en contact. Les abords des villes ne sont jamais séduisants…. Les titres donnés à chacune des œuvres sont mystérieux. Ils nous aident à faire notre deuil des images cellophanées que l’esprit attribue automatiquement aux éléments picturaux. Le trader, la campagne, l’astronaute ou la charte graphique d’un office de tourisme régional se dissolvent pour mieux recomposer l’univers dans lequel tout perd son sens et sa nécessité. Cet univers, « Tu le connais, lecteur, ce monstre délicat,— Hypocrite lecteur, — mon semblable, — mon frère ! » puisque c’est le nôtre.



Patrick Bazin











le site de Fred Maillard ici