Bidonvilles-sur-Seine
"En région parisienne, près de trois mille personnes (roumaines et bulgares principalement) vivent dans des baraquements indignes, l’indifférence est totale : Une vingtaine de baraques faites de planches et de tôles sont alignées le long du Boulevard des Maréchaux, à quelques encablures du Parc de La Villette à Paris.
Entres les cahutes, des enfants jouent, des hommes discutent et jouent aux cartes, des femmes préparent le souper ou lavent du linge. De la musique tzigane sortie d’un poste alimenté par une batterie automobile égaie le terrain vague métamorphosé en village. À l’intérieur de ces drôles de maisons, un lit double, quelques chaises, parfois un fauteuil ou un meuble et un poêle de fortune. Sur les parois, une improbable décoration où souvenirs de familles se mêlent aux affiches publicitaires. On y retrouve aussi ces fameuses batteries de voiture unique ressource en électricité. À l’opposé du campement, les autres familles ont résolu le problème en se raccordant directement à l’alimentation du périphérique. Le soir venu, l’intérieur des baraquements s’illumine en même temps que la chaussée. Une centaine de personnes survit dans ce campement dont les plans de Paris tairont à jamais le nom. Certaines vivent ici depuis trois ans. Protégé par un mur et dissimulé sous des arbres, le bidonville est quasiment invisible de la rue. Invisible aussi des médias dont l’attention se concentre sur les SDF, le canal saint Martin, les enfants de Don quichotte et le squat de la Bourse. Pourtant, il existe une vingtaine de bidonvilles de ce type en Ile-de-France selon ATD Quart Monde. Chacun regroupant entre cent et deux cents habitants. La plupart viennent d’Europe de l’Est, parmi eux de nombreux Roms qui fuient à la fois la misère et le racisme institutionnel dont ils sont victimes. Le bidonville du Boulevardd Mc Donald vit ces derniers jours ; la mairie de Paris a décidé de récupérer le terrain où sera édifié un nouvel ensemble immobilier. En lien avec des associations, elle propose le relogement dans des hôtels Formule 1 en banlieue éloignée pour une période d’un mois. Après cela… un autre bidonville ? De l’autre côté du périphérique, à Aubervilliers, la ville va tenter une expérience peu commune : proposer à des familles la sédentarisation et les aider à trouver le chemin de l’intégration. Quatre-vingt personnes font partie du dispositif, sélectionnées selon plusieurs critères dont la volonté à vivre durablement en France et l’engagement des parents de scolariser leurs enfants. « Je veux être comme tout le monde. J’en ai marre de la misère chez nous en Roumanie. Là-bas tu travailles un mois, tu gagnes 100 ou 200 euros. Ici, tu peux gagner dix fois plus », explique Benny. Ce jeune de 20 ans se lève à l’aube pour aller vendre le journal associatif, Sans Logis, dans le RER. Benny et sa femme Laura, enceinte de cinq mois, vivent en compagnie d’une quinzaine d’autres familles dans des conditions d’extrême précarité : Un campement d’une vingtaine de tentes installées le long du canal Saint Denis sous le pont de la voie ferrée. Trois cuisines collectives alimentées par des bonbonnes de gaz, quelques tables et quelques chaises collectives aussi et enfin deux toilettes sèches constituent l’infrastructure du campement. Ici pas d’électricité ni d’eau, dont le point le plus proche est à 10 mn. Alors pourquoi endurer de telles conditions de vie dans un campement soumis aux aléas de la météo et risquer par ailleurs de se faire contrôler et d’être expulsé ? « Cela en vaut la peine, répond Benny. Ici j’aurais peut-être la chance de construire une famille; un jour quand je sortirai de la misère, j’achèterais une maison ». Adrian et Elena vivent en France depuis six ans. Adrian travaille au noir sur des chantiers, ainsi il a rapidement appris le français et le portugais. En Roumanie, il étudiait le droit, Elena l’économie. « Je travaillais au secrétariat de l’université et gagnais 120 euros par mois dont 100 partait pour le loyer », dit-elle. « Ce sont les faibles salaires et la corruption qui nous font partir de Roumanie. La corruption c’est le pire, chaque porte s’ouvre avec des enveloppes », ajoute Adrian. Pourquoi avoir choisi la France ? « En Roumanie, tout le monde parle de la France, le pays de l’amour et de la cuisine, on dit que la France est belle. Mais ici, j’ai découvert le racisme » ! Après une période d’errance, Adrian et Helena se sont résignés à payer un emplacement dans un bidonville d’Aubervilliers… 1000 euros au chef local pour y construire son baraquement. Deux semaine plus tard, un incendie ravageait le campement. De nouveau l’errance jusqu'à ce petit bout de béton au bord du canal où Adrian et Benny pêchent quelques gardons, histoire d’améliorer le quotidien. Adrian, Elena, Benny et Laura espèrent beaucoup du projet porté par la municipalité. Cela fait plusieurs mois qu’élus, administration préfectorale, service sociaux, associations et représentants des familles se réunissent avec pour objectif d’installer ces familles sur un terrain de la commune où seront aménagées des maisons préfabriquées et de mettre en œuvre un accompagnement social leur permettant de s’intégrer, de trouver du travail puis un logement classique. « C’est la première fois qu’une municipalité s’engage durablement dans la lutte contre une telle misère », se réjouit un militant de l’association Coup de main. Pourtant, de part et d’autres, le doute subsiste. Les uns attendent dans le froid l’aboutissement d’une énième promesse, tandis que les autres s’inquiètent de savoir si les familles respecteront leurs engagements pour éviter que le futur lieu d’habitation ne se révèle un nouveau bidonville incontrôlable. Finalement, peu avant noël des caravanes arrivent sur le nouveau terrain et le transfert peut commencer. « Pour les maisons, on peut attendre » dit Adrian, visiblement ému et content de voir enfin les choses avancer. Désormais, raccordements électriques et arrivée d’eau font partie du quotidien. L’avenir nous dira ce qu’il adviendra du campement. En attendant chacun fêtera Noël le cœur un peu plus chaud."
Ivan du Roy et Eric Garault