11.1.12

Séverine CAUCHY, 13 janvier 2012

« Comme toi, j'ai essayé de lutter de toutes mes forces contre l'oubli,
comme toi j'ai oublié … » (*)

C’est l’horreur de l’oubli qui anime Séverine Cauchy. Quand elle regarde le monde - les mécanismes sociaux bien assimilés qu’on ne reconnaît plus, qu’on a rayés de notre mémoire - elle observe les travers sociaux organisés par le politique, elle ausculte notre façon de ne plus distinguer les différences que pour les juger ou les détruire, et alors, elle fait resurgir autrement, en déplaçant sans fracas, les questionnements de la rue. Séverine Cauchy pointe du regard, met sous sa garde, les statu quo entérinés socialement pour mieux nous faire recouvrer la vue. (…)

Dans ce monde d’aveugles aveuglés, les différentes couleurs de peaux, les classements, les archivages, les collections, elle les énumère, les classe autrement, les enregistre autrement pour en faire des énoncés discrets placardés sur des tee-shirts, sur des pancartes de manifestation en carton, sur des feuilles de papier caviardées sur les murs dans la rue. (…) Séverine Cauchy devient l’étrangère dans son pays qui scrute les dysfonctionnements, pour mieux les épingler au propre comme au figuré. (…)

La littéralité des entreprises de l’artiste : rester à la surface des choses, devient un potentiel de perturbation pour mettre au défi les évidences banales, quotidiennes, communes et ordinaires. Elle déjoue le paradigme. C’est l’écart minimum qu’elle retient pour déployer finalement une colère froide sur les ombres terribles d’un naufrage culturel et politique en France. (…)

Il n’existe pas d’autre commentaire politique ici, qu’une disjonction entre pouvoir et vivant, possession et plaisir : l’artiste décide de faire coïncider l’idée et la chose, pour donner autrement la parole à un réel rendu muet par force d’habitude.

Séverine Cauchy craint le pire, comme Marguerite Duras : «  Je me souviendrai de toi comme de l'oubli de l'amour même. Je penserai à cette histoire comme à l'horreur de l'oubli ; je le sais déjà. »
(*)  Alain Resnais, Hiroshima mon amour, film, 1959, 86’10’’, scénario et dialogues de Marguerite Duras



« Canonge », avril 2011
Pancartes : carton, peinture acrylique, feutre, bois
Dimensions variables


Conçu en 1950, du nom de son inventeur l’inspecteur de police René Canonge de la sûreté urbaine de Marseille, ce registre classe les auteurs d'infractions en quatre catégories d’individus : noir, blanc, jaune, arabe.

Informatisé depuis 1992, ce fichier est une base de données utilisée par le ministère de l’Intérieur français afin que les victimes d'agressions puissent reconnaître leur agresseur, d'où l'expression utilisée couramment dans les commissariats : "faire un canonge".

Intégrée dans le Système de traitement des infractions constatées (le STIC), qui recense à ce jour 34 millions de personnes, cette base de données est alimentée au fil des affaires par l’état civil, la photographie et la description détaillée des personnes arrêtées ou placées en garde à vue.

Ce fichier, à ce jour, comporte 12 types ethniques :
Blanc caucasien, méditerranéen, gitan (**), moyen oriental, nord africain maghrébin, asiatique eurasien, amérindien, indien, métis mulâtre, noir, polynésien, mélanésien.

Séverine Cauchy, janvier 2012

(**) Le fichier Canonge été modifié en 2006 : « Ils ont enlevé la mention "gitan", pour mettre "gens du voyage" » (Alain Bauerin Le Monde,8 octobre 2010, p. 9.)

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La contribution au Hublot de Séverine Cauchy a consisté, dans un premier temps, en une intervention sur le tissu urbain local réalisée clandestinement dans la nuit du 9 au 10 janvier 2012. 250 affichettes format A4 ont été collées dans le centre ville d'Ivry, notamment sur le mur Pagès de la place Voltaire :
 





Dans un second temps (voir dans "Hublots du soir"), un tirage grand format de cette affichette a été placardé dans le Hublot :