"J’aime la
peinture, intimement et viscéralement. Sa variété de techniques et son infinie
richesse. Sa sonorité même. L’étendue des possibles qu’elle offre avec cependant
un goût prononcé pour l’huile. Sa lenteur de séchage, son odeur, tour à tour
son âpreté ou sa grande sensualité. Son exigence et sa difficulté. Cette
indocilité qui la caractérise si bien. Pour le peintre que j’espère être ou
plus justement que je redeviens chaque jour de ma vie, peindre c’est accepter
et assumer l’échec de l’œuvre, du tableau, inévitablement, inlassablement
parfois même merveilleusement afin de mieux relever le gant et recommencer
encore et toujours avec intensité, assiduité revenant donc à l’essentiel qui n’est
pas le tableau lui-même en tant qu’objet mais bien ce qui l’anime, la peinture
elle-même et ce désir, cette nécessité de peindre pour se laisser glisser enfin
vers le lâché prise et à l’apparition de formes sincères. Sans destruction de
la peinture, il ne peut y avoir de peinture et donc de chose à voir. Ce
chemin-là, celui de cette peinture, le mien depuis 30 ans, est un labyrinthe
exquis et redoutable, tant il est bon de s’y perdre et vous incite à rester
dans son antre, pleinement, indéfiniment, comme le fœtus dans le ventre de sa
mère. Mais puisqu’il faut bien se résoudre à en sortir un jour, c’est pour
mieux se replonger dans l’inconnu, échapper ou tuer ce Minotaure que sont le
renoncement ou la satisfaction complaisante; la seule voie possible, le seul
fil d’Ariane salutaire étant d’aller vers soi- même, fidèle à sa perception
sensible du monde, et à l’intimité de son propre regard. Car s’il faut
reconnaitre l’existence du tableau malgré tout et presque malgré lui comme
étant la réussite illusoire d’une vérité toujours mouvante, de ce presque rien
insaisissable ou ce grand tout abyssale qui vous échappent sans cesse, l’idée
de le reprendre et donc de le repeindre, voir, de le détruire radicalement n’est
ni factice ni dérisoire. La succession de couches, de traces, de griffures
donnant du temps au temps, vie, puis chair et enfin corps..."
Denis Martin "Démarche artistique générale" extrait