Marie-Pierre Brunel – Nouveaux spectres
Dans la traversée de son expérience personnelle et dans des passages fulgurants du désastre au miracle, ses œuvres saisissantes jalonnées de transformations incessantes intiment au regardeur le réflexe d’une lecture narrative sans voile où le trait quasi chirurgical livrent des concrétions disparates dans des présents compatibles et irradiants. Cadrées de manière filmiques, les compositions, où les apparitions effarantes et les ombres modératrices se développent sur les traces du sacré, témoignent d’un travail subtil d’exorcisme autour de cette
"inquiétante étrangeté" confrontant des rituels ancestraux ainsi que des impressions visuelles soudaines.
Marquées par une impressionnante variété formelle, la myriade de figures que convoque dans ses toiles Marie-Pierre Brunel s’entrechoquent de manière discursive et répondent à des sources éclectiques mettant en lumière une convergence des points de vues iconographiques. Les juxtapositions d’idées jonglant avec la pulsion aventureuse et l’apparition dénoncent des drames autour de thèmes référant aux mythes, aux croyances populaires, aux forces divinatoires mais également à un ailleurs fantasmé et à des crispations foncièrement identitaires. L’artiste atteste d’une pratique tournée vers l’expérimentation constante des nuances et le glissement maîtrisé des temporalités en essayant de se tenir à égale distance de la figuration et de l’abstraction. Les silhouettes auratiques nous livrent des voyages inexorables en terra incognita dans une primitivité lointaine questionnant les usages votifs via des mondes sans âge à travers lesquels se formule un rapport sensoriel au monde.
Communiant avec un état du monde semblant s’être arrêté, sa gestuelle installe le silence entre le souvenir d’une image fixe et un flou naissant. Elle offre un échappatoire salvateur en s’accordant des associations contradictoires aptes à remettre en question les mystères de l’identité et l’énigme des territoires. La dimension et la ferveur fantasmagoriques à l’œuvre au cœur de ces toiles donnent vie au surgissement d’une poésie faisant dialoguer fétiches prédicateurs et totems du monde de l’enfance dans des scènes primitives où l’entre-deux hallucinatoire dicte impunément ses lois. Chaque interstice est mu ici par l’instinct et une singulière impétueuse nécessité. Le trouble qui émane de cette mécanique picturale personnelle déjoue tous les poncifs dans des trouées, des percées et des strates formant une généalogie des récits sans concession accueillant librement la notion de mirage par le biais d’anachronismes invariablement fertiles, souvent vulnérables mais jamais entendus ni attendus.
Clément SAUVOY, Critique d’art, 2021